Le rôle des capitaux privés dans les mécanismes de paiement au résultat

Synthèse de l’article

Social Impact Bonds: The Role of Private Capital in Outcome-Based Commissioning, de DANIEL EDMISTON et ALEX NICHOLLS, 2018″

 

Daniel Edminston et Alex Nicholls, Professeurs à l’Université d’Oxford,  présentent dans cet article une analyse des Social Impact Bonds (SIBs) avec un regard particulier sur les effets générés par l’introduction des capitaux privés dans un montage destiné au financement de l’innovation sociale.

Les auteurs remarquent en premier lieu comment la littérature scientifique sur les SIBs a déjà approfondi la question des effets de la présence des acteurs privés et des valeurs qu’ils apportent avec eux dans le mécanisme de paiement au résultat. En revanche, le sujet des effets directs de l’apport en capital pour financer les prestations sociales restent encore peu étudié.

Pour cela, les auteurs approfondissent quatre SIBs développés au Royaume-Uni[1]. Ils tentent ainsi de comprendre comment le financement de ces contrats par des capitaux privés influence leurs objectifs, à savoir l’innovation dans les services sociaux, ainsi que la génération d’impacts sociaux et la réduction des dépenses publiques. L’analyse des quatre SIBs a été réalisée via une étude documentaire concernant la structure des contrats et les premiers rapports d’évaluation des projets, ainsi qu’une enquête de terrain qui a donné lieu à 41 entretiens avec les parties prenantes des SIBs étudiés.

 

Capacité à stimuler l’innovation dans les services sociaux

Les auteurs analysent dans un premier temps comment la présence des capitaux privés au sein de SIBs influence la tendance à l’innovation des organisations de la société civile engagées dans la mise en œuvre des prestations sociales. Ils remarquent comment le mécanisme de déplacement du risque vers les investisseurs privés semblerait permettre une flexibilité accrue aux acteurs du tiers secteur, qui ne doivent plus assumer les risques liés au mécanisme de paiement au résultat.

En effet, nombre d’acteurs interviewés par les auteurs suggèrent que les expérimentations de nouvelles pratiques d’assistance sociale à une « très petit échelle » ont pu être financées grâce à l’acceptation du risque de la part des investisseurs (Edminston et Nicholls., pp. 8). Les interviewés suggèrent que ce déplacement du risque vers les investisseurs, motivés par la possibilité d’un retour financier, permet aux associations un autonomie plus forte par rapport aux autres mécanismes de paiement au résultat dans lesquels les associations assument le risque financier des prestations sociales.

Néanmoins, cette présence des capitaux privés engendrerait également des effets négatifs inattendus sur la capacité à innover de ces associations. En effet, un nombre non négligeable des praticiens des associations engagées dans la mise en œuvre des contrats SIBs étudiés par les auteurs remarquent comment, paradoxalement, le temps employé pour mesurer et évaluer les pratiques les éloignent du terrain d’action pour lesquelles ces évaluations sont faites. Ce fait réduirait l’autonomie opérationnelle des praticiens du social. Ainsi, les auteurs soulignent un sentiment répandu chez les praticiens d’un e rigueur importante due au mécanisme de « micro-management » typique des contrats SIBs (ibid., pp. 10).

 

Sur la capacité à engendrer des meilleurs résultats pour combattre les problèmes sociaux

Le deuxième aspect approfondi dans l’article concerne les impacts sociaux des interventions.

Ils soulignent d’abord que la mise en place d’interventions très personnalisées et caractérisées par une approche « holiste » de l’action sociale a engendré principalement des résultats positifs. Notamment, une bonne partie des usagers interviewés par les auteurs soulignent comment l’approche personnalisée et le suivi continu de leur situation (notamment un des contrats SIBs en question était organisé autour des « Navigators » qui accompagnent individuellement des bénéficiaires dans leur réinsertion) les a aidé à faire face aux problèmes rencontrés.

Par contre, ces résultats sont aussi à rapporter au contexte spécifique des interventions sociales étudiées : cela complique l’identification du lien de causalité entre les résultats obtenus et les prestations mises en place. De plus, établir un rapport causal direct entre ces résultats et la présence des capitaux privés serait encore plus discutable. Par exemple, l’attribution d’un effet direct pour le cas des SIBs dédiés à l’aide des sans–abris n’est pas évident pour une population qui bénéficie d’un grand nombre de services différents.

Après avoir souligné ces limites pour une simple évaluation des SIBs, les auteurs évoquent également certains des avantages de la présence de financeurs privés. En effet, les investisseurs et les intermédiaires financiers sembleraient avoir réussi à améliorer le mécanisme Payment by Results (ibid., PP. 13), notamment grâce aux mécanismes d’évaluation en continu des prestations, qui motiveraient les prestataires de services à « stay on track » (rester sur la bonne voie), tout en expérimentant des nouvelles pratiques sociales.

 

Capacité à engendrer des économies pour les pouvoirs publics, tout en fournissant des ressources supplémentaires pour le financement de services sociaux

Les pouvoirs publics de nombreux pays ont affiché de manière claire leur volonté d’implémenter les SIBs pour contribuer à la réduction des dépenses publiques.

Dans les deux dernières parties de l’article, les Professeurs Edminston et Nicholls ont donc approfondi les impacts du modèle SIB sur le financement des services sociaux dans un contexte de réduction des dépenses publiques du secteur social anglais.

Les SIBs sembleraient fournir peu de preuves d’une relation de causalité entre les services de prévention mises en œuvre et la réduction des dépenses publiques (ibid., pp.15). De plus, nombre des parties prenantes interviewées par les auteurs soulignent que les coûts liés à la mise en place des contrats menaceraient les possibles économies pour les pouvoirs publics.

Par contre, en s’insérant de fait dans un contexte de réduction générale des dépenses publiques sociales, les SIBs sembleraient quand même permettre le financement des services qui auraient eu des difficultés, voire échoué, à se financer autrement. Notamment, les expérimentions de nouvelles pratiques à une très petite échelle trouveraient plus des difficultés à se financer dans le contexte actuel. Les capitaux privés rendus disponibles par les contrats SIBs représenteraient donc des ressources supplémentaires pour les pouvoirs publics et des modes de financement alternatifs aux subventions décroissantes.

Néanmoins, ces capitaux visent des organisations du tiers secteur très spécifiques, comment le remarque un des interviewés, en soulignant l’importance de se présenter en tant que « investment-ready » (prêt à recevoir un investissement) pour bien supporter cette configuration financière particulière (ibid., pp. 15).

 

Conclusion 

L’article d’Edminston et Nicholls suggère que les SIBs peuvent être un instrument pour dépasser les limites classiques de la contractualisation Payment-by-Result (caractérisée par le financement direct des prestations sociales de la part des organisations du tiers secteur), grâce à la présence des capitaux privés qui financent les initiatives via le déplacement des risques du financement des acteurs du tiers secteur au acteurs financiers.

Par contre, mis à part cet avantage assez documenté par les auteurs, l’impact de la nature privée des capitaux semble être beaucoup plus nuancé : concernant la qualité des prestations sociales, leur effective amélioration dans les SIBs étudiés par les auteurs semble se justifier davantage par leur caractère expérimental, plutôt que par les incitations liées à la présence des capitaux privés. En outre, le mécanisme de financement typique des SIBs semblerait plus adapté pour de grandes organisations associatives déjà « investment-ready », que pour la plupart des petites organisations à but non-lucratif non organisées pour supporter un tel montage.

En conclusion, les auteurs soulignent comment le rôle des capitaux privés dans le principe même des SIBs risquerait de déplacer de fait le processus de régulation des prestations sociales financés vers les acteurs privés de la contractualisation (les investisseurs et les intermédiaires financiers), nuisant ainsi au processus de décision politique en l’absence des mécanismes adéquats de surveillance de la part des pouvoirs publics (ibid., pp. 17).

Ainsi, comme le remarquent Edminston et Nicholls, sans un effort de compréhension des effets de ce mécanisme de financement privé sur des prestations sociales, les pouvoirs publics risquent de payer des coûts financiers élevés (liée à la fois aux coûts importants de mise en place et d’évaluation des projets, ainsi qu’au paiement d’intérêts financiers aux investisseurs pour des projets « sûr de réussir »), sans aucune certitude d’atteindre les bénéfices supposément rattachés au modèle des Social Impact Bonds.

 

Vincenzo Buffa, doctorant, Chaire « Finance pour l’innovation » à Audencia Business School

Supervisé pour ce texte par Benjamin Le Pendeven, Professeur et co-directeur de la Chaire « Finance pour l’innovation » à Audencia Business School

 

[1] L’EssexMST SIB, financé par l’Essex County Council, a pour but de baisser le nombre d’enfants placés en institutions de soins dans le comté de l’Essex.  Le Merseyside New Horizons SIB fait partie d’un programme national promu par le département du Travail et des Retraites qui a financé 10 SIBs disséminés dans le territoire Britannique pour améliorer l’employabilité des jeunes travailleurs. Enfin, les auteurs étudient deux SIBs faisant partie du programme LondonHomelessness, financé par la Greater London Authority, pour l’accompagnement des sans-abris.