Et si l’immobilier devenait un levier de développement pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire ?
Les petits déjeuners thématiques organisés par La France s’engage ont pour objectif d’offrir à ses lauréats et alumni des espaces d’échange à haute valeur ajoutée, nourris par l’expertise de partenaires qui partagent une même exigence d’innovation sociale.
La dernière session, animée par Damien Cacouault, directeur général, et Alexis Le Roy, chargé de projets au sein du cabinet Splendide !, a ouvert une réflexion inédite : et si l’immobilier, souvent perçu comme une contrainte, devenait un levier stratégique pour les structures de l’ESS ?
Dans un contexte de forte tension foncière, où les acteurs associatifs peinent à stabiliser leurs lieux d’activité, la question dépasse la simple gestion de locaux : elle touche à la pérennité des modèles, à l’ancrage territorial et à la capacité d’autonomie économique des organisations.
Sortir du réflexe locatif : l’immobilier comme actif stratégique
Splendide !, premier cabinet de conseil immobilier dédié à l’ESS, part d’un constat : le foncier est un angle mort de la stratégie des structures de l’économie sociale. Locaux vétustes, baux précaires, loyers élevés, méconnaissance du monde bancaire : autant de facteurs qui maintiennent un secteur essentiel dans une fragilité chronique.
Pourtant, rappelle Damien Cacouault, « l’immobilier, au même titre que la gouvernance ou le modèle économique, structure le développement d’une organisation ».
L’enjeu ? Transformer un poste de dépense (le loyer) en actif stratégique.
Devenir propriétaire, c’est sécuriser son ancrage, maîtriser ses coûts, et renforcer sa légitimité face aux financeurs. C’est aussi affirmer un positionnement politique : celui d’une ESS capable de penser le long terme, d’investir et de s’approprier les outils de sa souveraineté économique.
Méthode : partir des besoins, structurer la stratégie
Splendide ! propose une méthodologie rigoureuse, adaptée à la diversité des modèles ESS.
Chaque projet est unique, mais la démarche repose toujours sur les mêmes fondations :
- Définir le besoin réel : analyser la situation actuelle (surface, localisation, charges, usages), anticiper les besoins futurs et formaliser un cahier des charges fonctionnel.
- Connaître sa capacité financière : mesurer sa capacité d’autofinancement, ses fonds propres et ses marges de manœuvre avant tout engagement.
- Explorer les options d’occupation : du locatif à l’acquisition, en passant par des modèles avec des partenaires co-investisseurs, chaque modèle implique un rapport différent au risque, à la stabilité et à la gouvernance.
- Planifier le projet : séquencer les étapes – de la négociation du bail ou de l’offre d’achat jusqu’à l’installation dans les lieux – en anticipant les coûts, les autorisations et les délais.
Cette approche suppose une montée en compétence des acteurs ESS : négocier en amont, s’entourer d’experts juridiques et techniques, et penser l’immobilier comme un outil de projet, non comme un simple abri administratif.
De la location à la propriété : les modèles possibles
Les échanges ont permis d’explorer les deux principaux modèles de portage immobilier :
- La pleine propriété : La structure achète et exploite directement le bien. Elle conserve ainsi un contrôle total sur l’actif et son usage, mais doit mobiliser des fonds propres importants.
- La dissociation propriété / exploitation : Ce montage implique la création d’un véhicule dédié (SCI, SAS, foncière…). Il permet d’isoler le risque immobilier du risque d’activité et d’ouvrir le projet à des partenaires financiers ou opérationnels : co-investisseurs, collectivités, Caisse des Dépôts, foncières solidaires (ETIC, Bellevilles, Base Commune…), mécènes, etc.
Ces solutions, bien que complexes, ouvrent des voies d’accès au foncier plus équilibrées et résilientes. Elles traduisent une évolution culturelle : l’ESS apprend à parler le langage des financeurs et de l’immobilier pour défendre ses propres modèles de valeur.
Financer autrement : entre innovation et alliances
Les participants ont pu découvrir les dispositifs publics et parapublics mobilisables : prêts bonifiés de la Banque des Territoires, garanties de France Active, subventions régionales ou européennes, ou encore ingénierie d’accompagnement via l’ANCT ou l’ADEME.
Au-delà du financement, la clé réside dans la structuration du projet : produire un business plan d’exploitation réaliste, sécuriser les autorisations et anticiper les coûts cachés (honoraires, notaire, études de faisabilité).
Les témoignages évoqués (comme Le Phares à l’Île-Saint-Denis, Le Grand Bleu à Marseille ou La Venelle à Montreuil) illustrent cette montée en maturité : l’immobilier devient un prolongement du projet social, un outil d’émancipation collective.
Ce qu’il faut retenir
- Le lieu doit servir le projet, jamais l’inverse.
- L’investissement immobilier n’est pas réservé au secteur lucratif.
- À chaque organisation, sa solution : bail long, co-investissement, foncière solidaire ou acquisition directe.
- Se doter d’une stratégie immobilière, c’est penser la durabilité de son impact.
En ouvrant ce débat, La France s’engage affirme une conviction : l’avenir de l’innovation sociale passe aussi par la maîtrise de ses infrastructures.
Penser l’immobilier autrement, c’est redonner du pouvoir d’agir aux structures qui transforment les territoires.
Un grand merci à Damien Cacouault et Alexis Le Roy de Splendide ! pour la générosité de leur partage et la clarté de leur regard : une démonstration éloquente que la maîtrise du foncier peut devenir, pour les acteurs de l’ESS, un puissant levier d’autonomie et de transformation.
