Contrats à Impact Social: succès ou feu de paille ?
Fiche de lecture de l’article
“Social Impact Bonds: Blockbuster or Flash in a Pan?”, International Journal of Public Administration, 39:12, 927-939, Marika Arena, Irene Bengo, Mario Calderini & Veronica Chiodo (2016)
Dans un article académique de 2016, une équipe de chercheurs de l’école Polytechnique de Milan composée de Marika Arena, Irene Bengo, Mario Calderini et Veronica Chiodo nous propose un des premiers travaux scientifiques consacré à l’analyse systématique des caractéristiques de montage de Social Impact Bonds. En partant du constat que ce type d’instrument ne s’est que modestement développé malgré le fort intérêt médiatique et scientifique qu’il a suscité depuis la première expérimentation à Peterborough en 2010, les auteurs se demandent si cet intérêt pour le SIBs se traduira dans une future diffusion massive… ou bien par un échec et une perte d’intérêt.
Les auteurs commencent donc par investiguer des questions centrales concernant la structure des premiers SIBs mis en place entre 2010 et 2015. Est-ce que ces premières réplications du modèle SIB ont suivi les caractéristiques, ou les promesses, tant louées par leurs initiateurs et promoteurs?
Selon les auteurs, le modèle SIB a des caractéristiques spécifiques qui l’éloignent d’autres expérimentations de financements innovants :
- Le financement de programmes préventifs ;
- L’adoption d’une variante des contrats de paiement au résultat (« Payment by Result », PbR) qui déplace le risque financier vers des investisseurs privés ;
- Une collaboration entre des acteurs différents, publics et privés, qui est censée permettre une forte flexibilité dans la mise en place de prestations sociales innovantes.
Après avoir repéré ces caractéristiques fondamentales du modèle SIB grâce à une revue de littérature, les auteurs identifient les contrats SIBs signés jusqu’en 2015 pour enfin en analyser les configurations de montage. Cette étude a comporté l’analyse de 20 contrats SIBs dans le monde. L’analyse documentaire menée par les auteurs montre comment nombre des contrats SIBs présentent des mesures pour réduire le risque financier pour les investisseurs privés. De la même façon, plusieurs SIBs sembleraient financer des programmes sociaux déjà existants. Ce premier constat amène les auteurs à distinguer trois typologies de configurations organisées selon leur degré de conformité aux caractéristiques précédemment identifiées:
- Des contrats SIBs pleinement conformes ;
- Des contrats SIBs partiellement conformes ;
- Des contrats SIBs marginalement conformes.
Les 20 contrats SIBs étudiés sont alors classés selon ces trois typologies avec un résultat qui confirme le degré apparemment élevé de cas s’éloignant des caractéristiques considérées comme typiques d’un SIB : 4 SIBs sont pleinement conformes, 10 sont partiellement conformes et 6 sont marginalement conformes.
Typologies | Caractéristiques | Nombre des contrats SIBs |
Pleinement conforme | § Mise en place de nouveaux programmes sociaux avec des interventions sociales ad hoc
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4 |
Partiellement conforme |
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10 |
Marginalement conforme |
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6 |
Les SIBs pleinement conformes :
Les SIBs considérés comme pleinement conformes respectent les caractéristiques de flexibilité, d’innovation, et de paiement lié aux outcomes avec un déplacement total du risque vers les investisseurs privés. Le premier SIB de Peterborough est présent dans cette catégorie. En effet, les auteurs considèrent que ce prototype a permis la collaboration entre plusieurs prestataires des services. Cette collaboration a aussi mené à un agencement des différentes compétences de ces organisations et, en conséquence, à la mise en place d’un nouveau service social de lutte contre la récidive. L’ensemble des paiements était lié aux résultats prévus en termes de réduction de la récidive (outcomes) et la possible faillite du programme aurait engendré une perte totale du capital apporté par les investisseurs.
Trois autres SIBs gardent de façon semblable les caractéristiques de montage du « prototype » de Peterborough : deux SIBs développés au Royaume-Uni et un lancé en Israël. Par contre, un de ces trois SIBs, le DWP Innovation Fund for Young People, est en réalité un système de financement promu par le gouvernement UK qui a permis la mise en place de 10 contrats de SIBs. Les auteurs étudient ce cas dans son ensemble, donc à partir du « DWP Innovation Fund », mais pris individuellement les 10 SIBs financés par ce dispositif feraient probablement monter le nombre de SIBs considérés comme pleinement conformes.
Les SIBs partiellement conformes :
Les contrats SIBs inclus dans cette catégorie financent pour la plupart l’expansion de programmes sociaux déjà existants, ou déjà testés avec succès. Leur financement au travers d’un SIB conserve les programmes financés relativement inchangés. Très peu de cas arrivent à élargir leur fonctionnement à des formes plus ouvertes de collaborations entre différents prestataires de services. Cela amène, selon les auteurs, à un déficit important en termes d’innovation et de flexibilité des programmes sociaux financés.
Une autre différence caractéristique de ces contrats SIB concerne le déplacement du risque vers les investisseurs privés. En effet, les auteurs identifient différentes formes de limitation du risque financier pour tous les contrats inclus dans cette typologie. Cela peut se faire de deux façons, parfois complémentaires : grâce à la prise de risque partielle de la part d’un acteur philanthropique ou d’une agence publique, ou bien avec un partage du risque entre investisseurs et prestataires des services. Par exemple, la première stratégie est présente dans le premier SIB développé aux Etats-Unis où 75% du capital fourni par un investisseur privé était couvert en cas faillite du programme par une fondation philanthropique[1]. Dans un autre SIB développé au Royaume-Uni, le prestataire de service assume une partie du risque lié à la possible faillite du programme[2].
Les SIBs marginalement conformes :
Les six contrats SIBs inclus dans cette dernière catégorie s’éloignent fortement des caractéristiques du SIB « prototype » de Peterborough. Ces contrats sont marqués par la présence d’un seul prestataire de service qui est en charge de mettre en place l’expansion d’un programme social déjà existant. L’organisation du programme est fortement encadrée par les pouvoirs publics locaux et les paiements sont liés à l’implémentation des prestations sociales du programme, en se détachant du mécanisme de paiement au résultat. Ces aspects, soulignent les auteurs, amènent à une autonomie très limitée des prestataires de services en termes de modalités de mise en œuvre du programme. Enfin, tous ces SIBs présentent des mécanismes de réduction du risque plus au moins importants. Nous pouvons remarquer comment les caractéristiques de flexibilité, d’évaluation des résultats (outcomes) et de déplacement du risque financier vers les investisseurs sont fortement compromises, ou bien totalement absentes, pour ce qui concerne les SIBs inclus dans cette dernière catégorie.
Un point intéressant souligné par les auteurs concerne la prégnance de cette typologie pour le cas des Etats-Unis, où la plus parts des SIBs étudiés seraient marginalement conformes aux caractéristiques du prototype.
Conclusion :
Le point de départ des auteurs relève d’un paradoxe : comment expliquer la faible diffusion des Social Impact Bonds dans un contexte de grande effervescence médiatique et de production intellectuelle grandissante envers ce dispositif ?
Deux possibles solutions sont souvent proposées pour expliquer les difficultés de diffusion d’un nouveau dispositif: soit les SIBs sont encore dans un stade initial de leur diffusion, soit ils resteront structurellement un phénomène de petite envergure à cause des difficultés caractérisant leur mise en place. L’hypothèse qui semble se dessiner à l’issue de l’étude d’une équipe de l’école Polytechnique de Milan en 2016 semble tendre vers la deuxième solution.
En effet, l’article montre comment la plupart des contrats SIBs s’éloignerait, de façon plus au moins marquée, des caractéristiques qui justifieraient l’adoption de cet instrument. On retrouve un grand nombre de cas d’expansion de programmes sociaux déjà existants, au lieu d’une proposition de prestations sociales nouvelles et flexibles. Il y a aussi une tendance presque généralisée au partage du risque entre plusieurs acteurs, au lieu d’un déplacement total du risque sur les investisseurs privés. Enfin, furent notés également des cas de paiement liés aux actions misent en place (outputs) et non en lien avec les résultats attendus par ces actions sociales (outcomes). Pour les auteurs, ces résultats mettraient en évidence à la fois les difficultés d’application du modèle SIB, ainsi que le manque d’un approche commune et stable dans les différents contextes de son application.
De notre point de vue, cet article propose une approche intéressante pour l’étude des Social Impact Bonds. En effet, l’étude des caractéristiques du montage des contrats nous semble être une piste d’analyse majeure. Elle nous amène à questionner les formes différentes prises par cet ensemble des pratiques; sur le sens que prennent ces pratiques dans différents objectifs d’évolution de l’action sociale, nous amenant également à prendre au sérieux les effets des dispositifs techniques, souvent peu étudiés, comme les montages financiers, les dispositifs d’évaluation, etc…
[1]Le Rikers Island SIB est lancé en 2013 pour réduire le taux de récidive des jeunes entre 16 et 18 ans dans un établissement pénitentiaire à New York City.
[2] Le London Rough Sleepers SIB a été organisé en 2012 pour promouvoir l’insertion par le logement d’une population de sans-abris à Londres.