Entre espoir et prudence : revue de la littérature sur les contrats à impact social

Fiche de lecture de l’article

« Narratives of Promise, Narratives of Caution : A Review of the Literature on Social Impact Bonds. » Alec Fraser, Stefanie Tan, Mylene Lagarde and Nicholas. Mays Policy Innovation Research Unit, Department of Health Services Research & Policy, London School of Hygiene & Tropical Medicine, London, UK. SOCIAL POLICY & ADMINISTRATION VOL. 52, NO. 1, January 2018, PP. 4–28 ».

 

Dans cet article, les chercheurs Fraser, Tan et Lagarde proposent une revue de littérature thématisée au sujet des Social Impact Bonds (SIBs). Cet article occupe une place majeure entre les récentes publications autour des SIBs, car il permet pour la première fois d’approfondir les différents discours qui entourent les SIBs dans le milieu professionnel et universitaire. Dans cet article, nous venons synthétiser les apports majeurs de ce travail académique, afin de proposer en conclusion une voie de possible amélioration de la recherche autour des SIBs.

Les auteurs de l’article présentent dans leur introduction une définition précise de ce qu’est un SIB, permettant ainsi au lecteur de tout suite bien situer l’objet de l’étude et de comprendre certains des enjeux qui seront approfondis plus tard dans le texte.

Les SIBs sont des nouveaux mécanismes permettant la réalisation de services sociaux, et ils engagent normalement cinq acteurs dans leur mise en œuvre : un commanditaire (commissioner) – souvent un acteur public national ou local ; un prestataire de service (service provider) – habituellement une organisation associative, et plus rarement une entreprise – qui fournit les services demandés ; des investisseurs (external investors) qui couvrent les coût de la mise en place des services en échange du paiement de l’investissement initial plus des intérêts, de la part du commanditaire, si les objectifs préalablement définis sont atteints ; un intermédiaire (specialist intermediarie) qui est souvent concerné dans le développement du projet, dans l’accompagnement des investisseurs et dans la supervision du prestataire de service ; et, enfin, il est d’ordinaire présent un évaluateur indépendant (independent evaluator) responsable de mesurer les effets des interventions.

Figure 1 : Structure typique d’un contrat SIB, d’après les auteurs de l’article

 

Après avoir sélectionné à l’intérieur d’un ensemble de plus de 600 textes une centaine d’articles particulièrement représentatifs du débat intellectuel autour des SIBs, les auteurs ont réalisé une analyse de contenus qui leur a permis d’identifier trois façons d’interpréter les SIBs à l’intérieur de ce corpus de textes. Ces trois groupes de textes seraient marqués par des discours (« narratives ») décrivant différemment les Social Impact Bonds et leur utilité, et ce parfois de manière conflictuelle.

Un premier discours se concentre sur la réforme du secteur public (Public sector reform narrative). Celui-ci serait marqué par les théories du New Public Management (NPM) qui sont au cœur des réformes des administrations des pays occidentaux depuis les années 1980.

En effet, le constat de l’émergence de nouveaux risques sociaux non pris en compte par les pouvoirs publics, dans un contexte de baisse des ressources pour le financement des programmes sociaux par l’Etat pousse plusieurs acteurs à chercher des solutions pour rendre l’action publique plus efficace. Ce premier ensemble de textes souligne donc la nécessité de faire évoluer l’Etat Social vers un système qui opérationnalise une plus forte imbrication entre les acteurs publics et les acteurs privés, à la fois concernant le financement, la définition et la structuration des politiques publiques, et les niveaux d’intervention. Les SIBs représenteraient une réponse à ces défis, grâce à leur structure permettant de fédérer les acteurs publics et les acteurs privés autour de la mise en place d’interventions sociales centrées sur l’évaluation de la performance des services sociaux rendus.

Un deuxième discours semble promouvoir grâce aux SIBs une réforme du secteur financier (Private financial sector reform narrative). Cet ensemble de discours se réfère davantage aux théorisations de l’entrepreneuriat social. Pour ces auteurs, les SIBs constitueraient une occasion pour pousser les investisseurs à déplacer leurs actifs et choix d’investissement vers le secteur social. Cela permettrait ainsi une disponibilité plus importante en ressources financières pour la mise en place des services sociaux. Mais elle permettrait également une plus forte pénétration des valeurs et des pratiques entrepreneuriales au sein des organisations de la société civile. Ce fait est interprété positivement pour les auteurs tenant ce discours, qui conçoivent les organisations de la société comme des structures peu organisées et souvent pas assez prêtes à collaborer avec les organisations for-profit, qui sont pour leur part considérées comme très centrées sur l’efficacité et sur l’accountability. L’entrepreneurisation du tiers secteur bénéficierait ainsi à la fois aux investisseurs, qui pourraient mieux juger des prestations et des risques rattachés à leurs investissements sociaux, mais également aux prestataires de services sociaux qui deviendraient plus performants.

Enfin, un troisième discours se concentre sur un ensemble de textes autour d’une approche plus critique des SIBs (Cautionary narrative), qui s’oppose aux deux premiers types de discours et qui ne conçoit pas de façon positive les apports propres aux SIBs développés par les deux premiers ensembles d’auteurs. Ces auteurs ne critiquent pas la possibilité de mettre en place des instruments de financement centrés sur les impacts et les performances sociales, mais ils veulent plutôt mettre en garde envers certaines problématiques pas ou peu prises en compte par les promoteurs des SIBs. Deux principaux discours critiques sont tenus par ces auteurs : les dangers de la financiarisation des politiques publiques, qui causerait un assujettissement de l’intérêt général aux besoins des investisseurs privés ; et le risque de « corruption » de la mission sociale des organisations de la société civile engendré par l’hybridation du secteur à but non lucratif avec les pratiques et les valeurs des organisations marchandes. Les auteurs remarquent notamment un danger spécifique aux programmes outcomes-based (basés sur la performance) promus par les SIBs, qui risqueraient de concentrer l’action des associations envers des bénéficiaires qui pourraient assurent d’atteindre les objectifs liés aux prestations requises par les commanditaires, en négligeant les populations les plus démunies.

Discours Définition des SIBs Principale caractéristique des SIBs
Public sector reform narrative

SIBs comme extension des contrat outcomes-based (basé sur la performance).

 

 

Les SIBs permettent l’innovation sociale grâce à la collaboration entre les parties prenantes concentrées sur l’impact des interventions et leur évaluation.
Private financial sector reform narrative

Les SIBs créent des opportunités pour les investisseurs « impact first ».

 

 

L’agencement des valeurs du secteur public et du secteur privé aide l’innovation sociale, en promouvant des formes plus efficaces d’organisations sociales, comme les entreprises sociales.
Cautionary narrative

Le SIBs représentent une extension des politiques publiques d’inspiration néolibérales.

 

 

Les SIBs soumettent le processus de décision politique aux intérêts du marché financier, ainsi ils détournent de leur but social les organisations de la société civile, introduisant les concepts du management entrepreneurial dans leur fonctionnement.

Tableau 1 : Synthèse des apports des trois discours répertoriés dans l’article

 

Les auteurs remarquent à quel point ces trois discours autour des SIBs s’arrêtent à un niveau très théorique, et ils insistent sur l’absence d’études empiriques pouvant soutenir la robustesse des hypothèses proposées dans chaque cas. Néanmoins, ils soulignent à quel point la littérature scientifique qu’ils ont étudiée suggère que les SIBs pourraient être des instruments prometteurs, surtout en raison de leur capacité à aligner les intérêts de plusieurs acteurs dans la mise en place d’un programme social, tout en ayant des questions qui restent ouvertes concernant les risques potentiels, les bénéfices et les alternatives à la mise en place des contrats SIBs. Ils remarquent que des études empiriques ultérieures pourraient permettre de répondre à ces questions, déplaçant l’attention vers les applications concrètes des contrats SIBs.

L’article « Narratives of Promise, Narratives of Caution : A Review of the Literature on Social Impact Bonds » nous permet donc d’appréhender d’une façon assez complète ce qu’est un Social Impact Bond, et plus encore quels débats se sont structurés autour de sa définition et son usage au sein des mondes politique, professionnel et académique. Le lecteur peut ainsi se faire une idée précise des enjeux qui animent le développement du SIB comme une des innovations financières au bénéfice de causes sociales les plus prometteuses mais controversées de ces dernières années. Les auteurs de l‘article fournissent également des intuitions aux chercheurs qui voudraient contribuer à ces débats, ou poursuivre la recherche sur les SIBs ; notamment ils soulignent le besoin de davantage d’études empiriques concernant la mise en place des SIBs et de leurs impacts. Les chercheurs pourront en effet exploiter les intuitions proposées dans le texte, représentatives des discours et des justifications des acteurs engagés dans le développement des SIBs, pour en tester la pertinence et les limites dans de cas concrets. Ainsi, il semblerait s’ouvrir un espace propice aux recherches qualitatives, qui pourraient approfondir au quotidien la mise en place de ces instruments.

Néanmoins, nous pouvons aussi souligner certaines limites de l’article : les auteurs font le choix de présenter les discussions autour des SIBs d’une façon analytique, négligeant les aspects temporels et spatiaux. Ainsi, nous croyons qu’une analyse qui prenne en compte l’évolution dans le temps des débats sur les SIBs, ainsi que ses déclinations nationales, puisse mieux aider le lecteur à comprendre les formes différentes de SIBs, et les débats les entourant. Cette critique peut-elle être nuancée par le fait que les auteurs ont analysé la littérature publiée jusqu’en 2015, donc peu de temps après la mise en place des premières expérimentations des contrats SIBs dans les pays anglo-saxons. C’est en effet dans ces pays que s’étaient concentrés les débats autour des SIBs au moment de la revue de littérature proposée dans le texte.

Ainsi, plus qu’une critique vis-à-vis des auteurs de cette contribution centrale dans le recherche sur les SIBs, nous avançons plutôt une proposition pour poursuivre de façon encore plus complète l’analyse de la production intellectuelle sur cette objet complexe et très débattu.

 

Vincenzo Buffa, doctorant, Chaire « Finance pour l’innovation » à Audencia Business School

Supervisé pour ce texte par Benjamin Le Pendeven, Professeur et co-directeur de la Chaire « Finance pour l’innovation » à Audencia Business School