Collaborations et rapprochements entre structures d’intérêt général : un levier stratégique au service de l’impact

Face aux mutations profondes qui traversent le secteur, où modèles économiques, besoins des publics et exigences des financeurs évoluent rapidement, La France s’engage met en œuvre un accompagnement de ses lauréats visant à favoriser leur structuration et leur développement. En les incitant à anticiper ces transformations et en facilitant le partage de bonnes pratiques et de retours d’expérience, cet accompagnement leur permet d’adopter une posture proactive et éclairée.
C’est dans cette optique qu’un petit-déjeuner thématique, centré sur les dynamiques de collaboration et de rapprochement entre structures d’intérêt général, a été organisé à la Maison La France s’engage le 26 mars dernier. Ce thème stratégique revêt une importance particulière pour les entrepreneurs sociaux, soucieux à la fois de l’impact de leurs actions et de la pérennité de leurs projets.
La rencontre a permis d’approfondir la réflexion sur les opportunités et les défis que les fusions représentent pour les organisations de l’innovation sociale. Des acteurs de terrain, ayant déjà expérimenté ces rapprochements, ont partagé leurs expériences et analyses. L’occasion de jeter un éclairage sur les dynamiques internes et les enjeux stratégiques sous-jacents à ces processus de fusion.
Regards croisés de trois acteurs de terrain
L’événement a réuni trois intervenants clés : deux acteurs directement impliqués dans des processus de fusion et un expert en la matière.
Benoît Floquet, co-directeur de l’association Chapitre 2 (lauréat 2024 de La France s’engage), représente une organisation qui accompagne les jeunes majeurs issus de l’aide sociale à l’enfance. Cette association est née de la fusion entre Capitales et Tirelires d’Avenir, fusion récente dont l’objectif principal a été de renforcer l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté.
Alix Devillers, anciennement directrice de l’association Urban Refugees, a quant à elle exposé le parcours de l’organisation, créée en 2022. Confrontée à des défis financiers majeurs après le départ de sa fondatrice, Urban Refugees a fusionné avec une organisation implantée en Ouganda et au Kenya, afin d’assurer la pérennité de ses actions et d’élargir ses possibilités de financement.
Enfin, Emmanuel Sadorge, avocat et associé fondateur du cabinet Legicoop, spécialisé dans l’accompagnement juridique des structures de l’ESS (et partenaire de La France s’engage), a apporté une analyse technique sur les enjeux juridiques et réglementaires des fusions. Son intervention a permis d’éclairer des questions cruciales telles que la conformité, le transfert d’actifs et les problématiques de gouvernance, des défis récurrents dans les processus de rapprochement.

Benoît Floquet

Alix Devillers

Emmanuel Sadorge
La fusion comme réponse stratégique : entre nécessité et opportunité
L’idée de regrouper des forces pour optimiser l’impact social a de quoi séduire, mais elle répond souvent à des impératifs concrets et pragmatiques.
Benoît Floquet a ainsi souligné que, dans leur cas, la fusion visait avant tout à pérenniser un projet fondamental pour l’accompagnement des jeunes majeurs issus de l’aide sociale à l’enfance. “L’enjeu principal était de consolider nos ressources, de renforcer nos partenariats et de structurer notre accompagnement“, a-t-il expliqué. Ce processus de fusion, qui a pris à peine trois à quatre mois, a vu Capitales chercher un repreneur pour assurer la continuité de son projet, tandis que Tirelires d’Avenir souhaitait élargir son impact et donner plus de cohérence à son action. Si cette opération a permis de renforcer des partenariats, notamment dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance, elle a également engendré des tensions internes.
Alix Devillers a, de son côté, décrit une situation plus brutale, mais non moins stratégique : “Après le départ de la fondatrice, la pérennité financière de l’association était sérieusement menacée. La fusion avec une organisation étrangère était la solution la plus viable pour assurer la continuité de nos actions“. L’association Urban Refugees disposait cependant de plusieurs atouts pour attirer un partenaire : un réseau solide d’associations de réfugiés, des contrats de financement actifs, et une équipe réduite mais très engagée. En seulement quatre mois, la transition a permis de stabiliser l’organisation, tout en réduisant les coûts et en améliorant les financements disponibles.
Emmanuel Sadorge, fort de son expérience dans l’accompagnement juridique des fusions au sein de l’ESS, a mis en avant que, bien que séduisantes sur le papier, ces démarches de rapprochement sont rarement initiées de manière volontaire. “Les principales motivations qui sous-tendent les fusions sont souvent liées à des contraintes financières, à des dysfonctionnements au niveau de la gouvernance ou à des restructurations imposées par des réseaux externes“, a-t-il précisé.
Entre ajustements et résistances : les défis d’une fusion réussie
Les obstacles à une fusion réussie sont multiples et peuvent être décisifs. L’intégration des salariés et des bénévoles constitue souvent un défi majeur. Benoît Floquet a expliqué que, dans leur cas, la répartition des responsabilités a dû être entièrement repensée pour éviter toute confusion. Certaines attentes mal alignées ont généré des tensions, en particulier chez les bénévoles de Capitales, qui ont eu du mal à accepter la nouvelle organisation.
Le volet financier des fusions comporte également son lot de défis. Capitales, avec un budget annuel de 50 000 €, principalement issu du mécénat privé via un réseau d’anciens dirigeants d’entreprises, a perdu certains de ses mécènes lors de la fusion, mais a pu, grâce à la nouvelle structure, compenser cette perte avec de nouveaux financements.
Alix Devillers, quant à elle, a évoqué les défis inhérents à la gestion des ressources humaines et des contrats internationaux. “La fusion a mis en lumière des disparités notables entre les législations des différents pays, notamment en matière de chômage et de protection des employés“, a-t-elle souligné. L’absence de garanties sociales pour certains travailleurs a rendu la transition encore plus complexe.
Du point de vue juridique, Emmanuel Sadorge a insisté sur la complexité du transfert des actifs, la mise en conformité réglementaire et la gestion des statuts des employés. “Il est crucial de prévoir une phase de transition sociale pour garantir l’acceptation du changement par toutes les parties prenantes“, a-t-il recommandé. Il a également averti contre les risques liés à une sous-estimation des coûts indirects des fusions, qu’il s’agisse des audits nécessaires, des frais de mise en conformité ou des pertes de mécénats.
Enseignements et perspectives : une dynamique à encadrer
Face aux défis rencontrés, plusieurs bonnes pratiques ont émergé, soulignant l’importance d’une gestion minutieuse et d’un accompagnement adapté pour réussir une fusion.
Benoît Floquet a mis en lumière la nécessité de savoir faire se rencontrer deux cultures de travail parfois très différentes. La fusion de Capitales et Tirelires d’Avenir a révélé la complexité d’intégrer deux approches organisationnelles distinctes. “Il a fallu développer une capacité d’écoute et de compréhension mutuelle pour construire une synergie entre des équipes aux méthodes et aux valeurs parfois éloignées“, a-t-il précisé. Cette rencontre des cultures, bien que cruciale pour la réussite du projet, demeure un défi majeur, nécessitant une gestion fine des relations humaines et des attentes.
Une fusion ne doit pas s’aborder sous un angle uniquement économique. Choisir son partenaire avec discernement, en s’appuyant sur des critères qui vont bien au-delà des considérations financières, comme la complémentarité des missions, des valeurs et des objectifs à long terme, est un préalable indispensable. Ce choix stratégique permet d’éviter les écueils d’une fusion basée uniquement sur des impératifs financiers, qui risquerait de déséquilibrer l’harmonie et la cohésion entre les structures fusionnées.
Alix Devillers, confrontée à des décisions difficiles dans un contexte de grande pression temporelle, a évoqué la nécessité de prendre des choix rapides et parfois difficiles, mais indispensables. “Dans notre cas, nous avons dû prendre des décisions très rapidement, parfois sans avoir toutes les informations nécessaires. Le timing contraint a parfois forcé nos choix“, a-t-elle expliqué. Cette expérience a mis en lumière l’importance de faire preuve d’une grande capacité d’adaptation et de décision, en particulier dans des moments de stress intense et d’incertitude.
Selon Emmanuel Sadorge, un certain temps dédié à la due-diligence est également nécessaire avant de se lancer dans une fusion. Ces opérations impliquent un processus complexe et multiforme qui doit être mené avec rigueur. “La due-diligence, en particulier sur les plans juridiques, financiers et opérationnels, permet de sécuriser le projet et de ne pas sous-estimer le besoin d’accompagnement dans des domaines clés tels que les ressources humaines, le financement, la digitalisation, la gouvernance ou encore l’évolution de l’offre“. Cette analyse préalable permet de minimiser les risques et d’optimiser les chances de succès du rapprochement.
Un autre aspect soulevé par Benoît Floquet a été la dimension chronophage du processus de fusion, qui peut parfois détourner les structures de la recherche de nouveaux financements. “La gestion des aspects opérationnels de la fusion, notamment la réorganisation interne et la mise en place de nouveaux processus, a pris énormément de temps et d’énergie. Cela nous a parfois éloignés de nos objectifs de financement“, a-t-il expliqué. Cet aspect montre qu’une gestion efficace du temps et des ressources est indispensable pour ne pas perdre de vue les priorités stratégiques pendant une fusion.
Les spécificités des rapprochements dans le secteur associatif, où la gouvernance partagée et les partenariats sont au cœur des préoccupations, ont également été abordées. Benoît a insisté sur l’importance d’embarquer ses partenaires dans le processus. “Il faut impliquer dès le début tous les partenaires dans la réflexion sur la fusion, afin de garantir leur adhésion et leur soutien tout au long du processus“, a-t-il précisé. Ce travail de co-construction permet de renforcer la légitimité du projet et de faciliter son acceptation.
L’opération de fusion doit impérativement être viable économiquement et reposer sur un modèle économique solide. Une méthodologie claire et structurée, rigoureuse et transparente, est indispensable pour piloter le projet. Ce cadre permet de sécuriser les choix stratégiques tout en assurant la viabilité à long terme de l’organisation fusionnée.
Un autre point souligné par Alix Devillers concerne l’importance d’identifier la valeur ajoutée de la structure à reprendre. “Lorsque vous vous associez à une autre organisation, il est fondamental de bien comprendre et d’identifier la valeur ajoutée que cette structure peut apporter, qu’il s’agisse de son réseau, de son expertise ou de son impact territorial“, a-t-elle insisté. Cette évaluation permet d’éviter de se concentrer uniquement sur la dimension financière, mais aussi de maximiser les synergies créées par la fusion.
Conclusion : la fusion, un outil prometteur mais exigeant
Les retours d’expérience des acteurs présents soulignent que, bien que les rapprochements entre structures offrent des perspectives intéressantes en termes de consolidation et de développement, ils doivent être abordés avec rigueur et discernement. Loin d’être une simple addition de ressources et de compétences, une fusion nécessite une approche systémique qui intègre les dimensions humaines, financières et opérationnelles.
En définitive, comme l’a rappelé Emmanuel Sadorge, “une fusion ne doit pas être subie, mais construite avec méthode et discernement“. Pour les acteurs de l’innovation sociale, elle peut représenter un levier de transformation puissant, à condition d’en maîtriser tous les enjeux, d’anticiper les contraintes opérationnelles et de consacrer les ressources nécessaires pour garantir son succès.