Development Impact Bonds: L’application du paiement au résultat dans le domaine du développement et de l’aide humanitaire

Cet article traite d’un nouveau dispositif de financement des programmes sociaux : les Development Impact Bonds (DIBs). Les Development Impact Bonds prétendent appliquer le fonctionnement du paiement au résultat, typique des Social Impact Bonds, dans le domaine du développement international et de l’aide humanitaire.

Dans les lignes à suivre, nous présentons d’abord quatre projets de DIBs récemment mis en place dans plusieurs pays en Afrique, Asie et Amérique du Sud, pour ensuite présenter le fonctionnement de ces dispositifs et leurs différences avec les Social Impact Bonds.

 

Un premier DIB[1] a été développé en 2017 par le Comité international de la Croix-Rouge (ICRC) avec pour objectif la construction de trois centres spécialisés dans la rééducation physique au Mali, au Nigeria et en République Démocratique du Congo. L’équipe de l’ICRC a en charge la formation du personnel local afin de le faire monter en compétences et autonomiser la prise en charge des bénéficiaires. Les résultats attendus concernent l’amélioration des capacités motrices de la population concernée par le programme. Cet objectif principal est étroitement lié à d’autres outcomes concernant l’intégration de ces individus défavorisés dans le système scolaire et dans le monde du travail.

Le Village Entreprise[2] est quant à lui un projet visant à aider la population défavorisée en Ouganda et au Kenya à développer des activités entrepreneuriales. Des formations et des supports matériels sont fournis aux participants pour les aider à mettre en place leur propre activité, à laquelle s’ajoute une approche individualisée délivrée par des « local mentors ». L’augmentation des revenus et la création d’une activité économique stable sont les outcomes principaux de ce deuxième DIB.

Un troisième DIB[3], Quality Education DIB, a été lancé en septembre 2018 en Inde avec pour objectif l’amélioration du niveau scolaire d’une population d’enfants défavorisés. Le projet prévoit des workshops, des cours particuliers et la familiarisation avec des logiciels informatiques. Ces activités devraient aider les bénéficiaires à améliorer leur niveau global d’instruction et leurs capacités d’organisation à l’école. Les résultats attendus en termes d’outcomes sont rattachés à ces objectifs d’augmentation du niveau scolaire.

Un quatrième DIB[4] a été développé au Pérou avec pour objectif le support d’une communauté indigène du pays à développer un système de production de café et cacao plus efficace. Les activités prévues prévoient le support matériel et organisationnel d’une coopérative de production indigène. Les outcomes sont mesurés par rapport à l’augmentation de la production agricole et des revenus que les travailleurs de la coopérative tirent de cette production.

 

Tableau 1 (Parties prenantes, capitaux investis et bénéficiaires des 4 DIBs)

DIB Payeurs finaux Investisseurs Prestataires de services Evaluateurs indépendants Capitaux investis Populations concernées
ICRC DIB Gouvernements de Suisse, Belgique, Grande-Bretagne et Italie, et la Caixa Foundation Munich Re, Lombard Odier Pension Fund, et plusieurs acteurs philanthropiques

 

ICRC Philanthropy Associates

 

18.6 millions Francs Suisses Non spécifié
Village entreprise DFID, USAID, Wellspring Philanthropic Fund

 

Delta Funds et autres investisseurs Village Enterprise

 

IDinsight RCT

 

4,2 millions $ 13,000 foyers
Quality education DIB Michael and Susan Dell Foundation, Tata Trust, BT, Comic Relief, Mittal Foundation

 

UBS Optimus

 

Plusieurs ONG actives en Inde Gray Matters India

 

10 millions $ 200,000 enfants
Cocoa and Cofee Peru DIB Common Fund for Commodities Schmidt Family Foundation Rainforest Foundation UK Royal Tropical Institute 110,000 $ Non spécifié

 

Les quatre projets que nous venons brièvement de présenter nous permettent d’identifier les nombreux points de similitudes entre les SIBs et les DIBs, mais aussi certaines différences importantes.

D’abord, le montage de ces quatre DIBs correspond la structure typique d’un contrat SIB. Le paiement au résultat organise les relations entre les acteurs engagés dans un DIB, avec des investisseurs qui avancent les capitaux pour la mise en place du programme (opérationnalisé par un prestataire de services non-lucratif), qui seront ensuite remboursés par des payeurs finaux si les objectifs inscrits dans le contrat sont atteints. Ainsi, le transfert du risque des financeurs des programmes de développement et humanitaires vers des investisseurs est au centre du fonctionnement des DIBs.

Deuxièmement, les objectifs généraux qui guident et justifient les SIBs dans les pays occidentaux semblent être également prégnants dans le cas des DIBs, à savoir une plus stricte discipline marchande promouvant l’efficience, et une nouvelle culture technocratique fondée sur une plus systématique production de données pour évaluer les programmes sociaux mis en place.

Le premier objectif serait permis par la présence des investisseurs intéressés au retour de leur investissement et qui, ce faisant, amèneraient à une culture du résultat et à une augmentation de l’efficience. En effet, la perspective entrepreneuriale, centrée sur l’utilisation efficiente et transparente des capitaux utilisés est vue comme un apport essentiel pour l’amélioration des programmes sociaux de développement et humanitaires traditionnels, souvent vus comme inefficients. La culture marchande devrait également aider les bénéficiaires dans leur –présumée- volonté d’autonomisation. Ce premier objectif est étroitement lié au second, qui prétend supporter l’efficience des programmes sociaux grâce à une évaluation des projets mis en place. Cette pratique serait utile aux projets-mêmes, mais plus largement aux institutions publiques et philanthropiques engagées dans les politiques de développement, pour développer des projets plus informés et performantes.

 

Les DIBs présentent également des différences par rapport au fonctionnement des SIBs.

D’abord, les DIBs rentrent dans une plus large politique d’aide des pays du Sud et/ou d’intervention lors de crises humanitaires. Ces politiques sont organisées et financées par des organisations des pays occidentaux (publiques ou privées) qui interviennent dans des pays tiers. Cela caractérise également les DIBs, d’où les payeurs finaux proviennent d’autres pays que ceux où les projets sont réalisés. Ce fait marque une différence importante avec les SIBs, financés pour la plupart par des institutions publiques des pays hébergeant les projets. Qui plus est, dans ce type de montage, l’objectif de réduction de dépenses publiques, centrale dans les SIBs, n’existerait pas pour le DIBs.

Deuxièmement, certaines différences entre les DIBs et les SIBs émergent des caractéristiques du montage de quatre DIBs présentés dans cet article. En ce qui concerne les acteurs, nous retrouvons une plus forte présence d’acteurs philanthropiques en tant que payeurs finaux, chose très rare pour les SIBs. Les capitaux investis sont pour trois DIBs sur quatre beaucoup plus élevés que les ressources employées en moyenne dans les SIBs et les populations concernées sont, elles aussi, beaucoup plus nombreuses que dans les contrats SIBs. En effet, normalement, les SIBs ont pour objectif le support d’une population entre quelques centaines et quelques milliers de bénéficiaires. En revanche, certains des DIBs présentés visent à s’occuper de plus de 100 000 personnes.

 

Dans cet article nous avons brièvement présenté le fonctionnement des Development Impact Bonds en nous appuyant sur de cas concrets et en soulignant les points de similitude comme de divergence entre les DIBs et les SIBs. Tout en étant conscient du caractère exploratoire des cas exposés, cet écrit nous permet d’identifier des possibilités de recherche intéressantes pour étudier les DIBs. En effet, les DIBs cherchent à appliquer le fonctionnement de paiement au résultat dans le contexte des politiques de développement et humanitaire, en élargissant le champ d’application de ce nouveau dispositif de financement des programmes sociaux. Comme pour le cas des SIBs, des questions restent partiellement inexplorées par rapport aux effets de ces instruments sur le fonctionnement de l’action sociale, notamment, en ce qui concerne le choix des indicateurs de performance sociale et l’évaluation des résultats, des risques de pratiques utilitaristes pour les premiers et des difficultés d’évaluation pour les seconds sont soulignés dans la littérature tantôt pour le cas des SIBs, tantôt pour les DIBs.

Mais les DIBs sembleraient poser également des questions spécifiques à leur champ d’application. En effet, comment nous le soulignons dans cet article, les DIBs donnent une place différente aux payeurs finaux, provenant d’un pays tiers par rapport au territoire d’implémentation des projets sociaux, en complexifiant le rapport entre les acteurs engagés dans les DIBs. Comment se justifient dans ce cas l’objectif de réduction des dépenses publiques? Une possible absence ce cet objectif typique des SIBs donnerait-elle une place encore plus importante aux objectifs de pénétration d’une culture marchande et de l’évaluation dans des contextes complexes comme les pays du Sud ?

Analyser ces spécificités des DIBs nous semble avoir une importance majeure pour comprendre ces nouveaux dispositifs de finance sociale.

Vincenzo Buffa, doctorant, Chaire « Finance pour l’innovation » à Audencia Business School

Supervisé pour ce texte par Benjamin Le Pendeven, Professeur et co-directeur de la Chaire « Finance pour l’innovation » à Audencia Business School



[1] Programme to pilot Development Impact Bonds (Project ID: 204722), Annual report 2018. https://devtracker.dfid.gov.uk/projects/GB-1-204722/documents (Consulté le 19/08/2019).

[2] Ibid.

[3] Independent Evaluation of the Development Impact Bonds (DIBs Pilot Programme), Inception Report

July 2018. http://iati.dfid.gov.uk/iati_documents/40244820.pdf (consulté le 20/08/2019).

[4] Belt, John, Andrey Kuleshov, and Eline Minneboo. “Development impact bonds: learning from the Asháninka cocoa and coffee case in Peru.” Enterprise Development and Microfinance 28.1-2 (2017): 130-144.