Projet pilote et passage à l’échelle dans le cas de Development Impact Bonds en Inde et rôle d’un payeur final philanthropique

Nous souhaitons nous intéresser à la mise en place de deux Development Impact Bonds (DIBs) en Inde centrés sur le thème de l’éducation. Les DIBs Educate Girls et Quality Education DIB ont été promus par la fondation UBS Optimus, structurateur et investisseur unique des deux projets. Nous allons décrire dans un premier temps ces deux DIBs, soulignant les objectifs sociaux et les prestations sociales mises en place pour les atteindre, les parties prenantes engagées, ainsi que les résultats des programmes, finaux pour le premier et préliminaires pour le second, en termes d’évaluation de l’impact social des interventions. Dans un deuxième temps, nous montrons comment semblerait émerger un modèle spécifique de mise en place de contrats à impact social centrés sur l’éducation en Inde.

Description des cas

 

Educate Girls[1] (EG) est un DIB  d’éducation, mise en place par l’organisation du même nom, situé dans les zones rurales de l’État du Rajasthan qui fut mis en place entre 2015 et 2018. Le rôle d‘EG consistait à travailler avec les élèves sélectionnés pour le programme dans l’objectif de surmonter les défis posés par l’inégalité entre les sexes dans l’éducation et à offrir des chances égales aux filles vivant dans cette région relativement marginalisée de l’Inde[2]. Le projet prévoyait deux volets d’intervention différents : d’un côté EG a travaillé avec la communauté pour encourager l’inscription et le maintien des filles dans le système d’éducation ; de l’autre côté l’association a travaillé à l’obtention de résultats d’apprentissage pour tous les enfants, tous sexes confondus, grâce au déploiement d’un programme de rattrapage scolaire.

L’apprentissage des élèves a été mesuré en s’appuyant sur le test ASER[3], qui se base sur trois compétences : l’hindi, l’anglais et les mathématiques. Les tests ont été soumis aux élèves avant et après l’intervention. Les résultats obtenus par les élèves participant au programme ont été comparés avec ceux obtenus par des élèves d’autres écoles ayant réalisé le même test. L’évaluateur indépendant a ainsi mis en place un protocole de Randomized Controlled Trial (RCT).

Le DIB Educate Girls comptait cinq parties prenantes[4]:

  • L’investisseur UBS Optimus Foundation a fourni le fonds de roulement initial de 270 000 USD ;
  • L’association Educate Girls a mis en place le travail sur le terrain ;
  • Le payeur final, en l’occurrence la Children’s Investment Fund Foundation (CIFF), a garanti de rembourser le bailleur de fonds du montant initial, plus un rendement supplémentaire. L’ensemble des remboursements sont liés à l’obtention des objectifs d’inscription et d’apprentissage prévus dans le contrat ;
  • Le gestionnaire de performance, Instiglio, a fourni des conseils techniques pendant la conception, la gestion globale du projet ainsi que de l’aide à la gestion de la performance à EG pour le compte de la UBS Optimus Foundation;
  • L’évaluateur indépendant, Idinsight a évalué l’amélioration de l’apprentissage et validé le nombre de filles non scolarisées inscrites.

 

 

Figure 1 (Les parties prenantes du DIB Educate Girls)[5]

En 2018, le DIB est arrivé à sa conclusion et en mai de la même année l’évaluateur a fourni un rapport final d’évaluation. Selon ce rapport, le DIB Educate Girls a atteint 116 % de l’objectif d’inscription au programme et  160 % des objectifs d’apprentissage au cours de sa dernière année[6]. Selon l’évaluateur, le programme aurait également réussi à améliorer les mentalités des communautés à l’égard de l’éducation de jeunes filles ; en effet, ce rapport d’évaluation explique que 92 % des filles non scolarisées admissibles identifiées dans les secteurs de programme étaient inscrites à l’école à la fin du processus d’évaluation. En raison de ces résultats, la UBS Optimus Foundation a récupéré son financement initial, plus un taux de rendement de 15 % total, soit 144 085 USD, auprès du payeur final, le CIFF.

Un deuxième DIB lié à Optimus[7], Quality Education DIB[8], a été lancé en septembre 2018 en Inde avec pour objectif l’amélioration du niveau scolaire d’une population d’enfants « défavorisés ». Lancé par un consortium de fondations philanthropiques, le projet vise à améliorer les résultats scolaires d’un groupe sectionné d’élèves dans les Etats de Delhi, Gujarat, Maharashtra et Uttar Pradesh. L’action sociale prévue a été mise en place par trois différentes associations locales, proposant quatre modèles d’intervention :

  • Kaivalya : coaching dirigeant et professeurs.
  • Gyan Shala : gestion d’écoles privées gratuites.
  • SARD : cours de soutien scolaire dans des écoles publiques.
  • SARD : formations spécialisées pour les enseignants.

Ces activités devraient aider les bénéficiaires à améliorer leur niveau global d’instruction et leurs capacités d’organisation à l’école. Les résultats attendus en termes d’outcomes seront évalués à partir des résultats obtenus par les élèves dans de test d’évaluation du niveau scolaire, comparés à un groupe de contrôle randomisé suivant une méthode RCT.

Le DIB Quality Education rassemble les parties prenantes suivantes :

  • Michael and Susan Dell Foundation, British Asian Trust (BAT), le dernier ayant syndiqué les contributions de plusieurs fondations comme Comic Relief, Mittal Foundation en tant que payeurs finaux ;
  • UBS Optimus Foundation en tant qu’investisseur ;
  • Kaivalya, Gyan Shala, Society for All Round Development (SARD) en tant que prestataires de services sociaux ;
  • Dalberg en tant que gestionnaire de performance ;
  • Gray Matters India en tant qu’évaluateur indépendant.

 

 

Figure 2 (Les parties prenantes du DIB Quality Education)[9]

Ce deuxième DIB a comporté une augmentation importante des fonds alloués et une augmentation des bénéficiaires du programme. En effet, l’investisseur s’est engagé à investir jusqu’à 3 millions USD et les payeurs finaux ont accordé des paiements liés aux résultats de 9,2 millions USD sur 4 ans. Le DIB Quality Education a ainsi pu mettre en place un programme qui vise à impliquer 200.000 bénéficiaires sur 4 ans.

 

Malgré le fait que le projet soit actif depuis à peine plus d’un an, un premier rapport d’évaluation[10] a été diffusé par Gray Matters India, qui généra d’importantes évolutions.

Tout d’abord, la première évaluation du programme a relevé que 40% des participants auraient obtenu un résultat plus élevé de la moyenne nationale. Ces résultats préliminaires, s’ils sont confirmés à la fin du programme, dépasseraient les objectifs sociaux inscrits dans le programme, assurant ainsi un retour pour l’investisseur autour de 8% au total. Néanmoins, les quatre modèles d’intervention n’ont pas engendré le même taux d’amélioration dans les niveaux d’apprentissage des élèves. Ces faits ont amené à une réorganisation du programme pour la deuxième année. En effet, le comité de pilotage du projet a décidé d’abandonner un des quatre modèles[11], celui centré sur des formations spécialisées pour les enseignants mis en place par la SARD, en arrêtant son financement, car les résultats en premier année, assez négatifs, n’auraient pas assez rassuré les autres parties prenantes par rapport à la capacité de ce modèle à produire les objectifs prévus avant la fin du programme en 2022. Cette décision a également porté les parties prenantes du projet à reconsidérer l’opportunité de financer des programmes, dits « indirects », basés sur un préalable empowerment du corps professoral dans le cadre des contrats DIBs.

 

La mise en place d’un model spécifique aux DIBs ?

 

La présentation de ces deux cas nous permet d’exposer certains constats par rapport à ce qui semblerait se structurer comme une stratégie d’organisation des contrats à impact social dans le domaine du développement de la part de la fondation UBS Optimus.

Tout d’abord, le premier projet est conçu en tant que projet pilote permettant de tester à petite échelle la faisabilité des DIBs en Inde. Le deuxième représente quant à lui une étape de passage à l’échelle élargissant le concept de DIB. En effet, Educate Girls a mobilisé des capitaux assez limités et il a comporté une organisation plus simple par rapport à ce qui a été fait avec Quality Education. Ce dernier a demandé l’investissement de plusieurs millions de dollars et une organisation des prestations sociales complexe, structurée en quatre modèles d’interventions sociales différentes opérationnalisées par trois associations différentes.

Une autre différence majeure entre ces deux projets, dénotant aussi d’un changement d’approche, concerne la forte flexibilité qui caractérise Quality Education. Cela fut rendu particulièrement visible par la restructuration des prestations sociales au début de la deuxième année du DIB : une association, la SARD, a arrêté un programme, avec le financement qu’elle recevait dans ce cadre ; une deuxième association la Kaivalya, a connu une expansion importante de son périmètre d’action, notamment ayant bénéficié d’un redéploiement des fonds initialement prévus pour le modèle arrêté de la SARD; et une troisième association a débuté ses prestations, la Partham Infotech Foundation qui déploiera le logiciel d’apprentissage adaptative  Mindspark . Ainsi, d’une année à l’autre, le modèle global d’intervention sociale a été fortement bouleversé. Nous pouvons souligner que l’expansion de l’ampleur de l’action sociale proposée avec Quality Education s’est accompagnée d’une évolution de son paradigme de gestion, plus axé sur l’évaluation et l’évolution en continu du programme. La promesse de flexibilité de prestations sociales semble alors être plus au centre du mode de gestion de ce deuxième DIB, à défaut d’un accès stable aux financements par les associations prises dans ce processus d’évaluation en continu.

Des régularités intéressantes sont également présentes, permettant de mieux concevoir les deux projets dans une perspective stratégique de développement des DIBs. Effectivement, nous remarquons que, mise à part la taille différente, les deux projets partagent des caractéristiques de montage similaires : des payeurs finaux philanthropiques, un seul investisseur (qui a aussi le rôle de structurateur du projet), l’absence d’intermédiaire, et la présence d’un acteur dédié à la gestion de la performance. Ainsi, nous pouvons apprécier ici l’émergence d’un modèle spécifique de mise en place de DIBs.

 

En guise de conclusion, nous voudrions proposer des considérations qui restent à tester avec des études plus approfondies, sur l’évolution du sens rattaché aux contrats à impact social dans le domaine du développement. En effet, ces deux cas et le modèle qui semblerait le régir, montrent comment les DIBs semblent être justifiés par des objectifs différents de ceux des Social Impact Bonds.

Tout d’abord, nous avançons une première hypothèse concernant les payeurs finaux. En effet, dans les cas où les payeurs finaux sont pour la plupart philanthropiques, leurs motivations à financer un DIB paraîtraient relever plus d’une stratégie de mise en valeur (financière et sociale) des patrimoines des grandes fondations philanthropiques (typique des instruments Mission Related Investments), plus que d’une stratégie de réduction des dépenses publiques typique des SIBs. Cette particularité démarquerait assez clairement les DIBs des SIBs, qui, en revanche, sembleraient avoir tendance à adopter des prestations sociales et des techniques d’évaluation proches des SIBs. Nous pouvons souligner à cet égard la similarité des prestations sociales centrées sur l’accompagnement scolaire, le développement de soft-skills, ainsi qu’une attention portée au support familial des élèves en difficultés typiques des SIBs au secteur de l’éducation au Royaume-Uni[12]. De même, l’évaluation est centrée dans les deux cas sur la participation aux programmes mis en place et sur les résultats obtenus par les élèves dans des tests scolaires comparés avec un groupe de contrôle[13].

Ce transfert des pratiques sociales et d’évaluation vers le domaine du développement, dans un contexte de formation d’un modèle de montage spécifique aux DIBs, nous semble représenter des points intéressants pour de possibles avancements de la recherche sur les contrats à impact sociales dans différents contextes d’implémentation.

 

Vincenzo Buffa, doctorant, Chaire « Finance pour l’innovation » à Audencia Business School

Supervisé pour ce texte par Benjamin Le Pendeven, Professeur et co-directeur de la Chaire « Finance pour l’innovation » à Audencia Business School

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[1] Educate Grils Final Evaluation Report. IDinsight, 2018. Téléchargeable à partir du lien suivant : https://www.educategirls.ngo/dib.aspx. Consulté le 14/02/2020.

[2] Ibid.

[3] Un test utilisé dans plusieurs pays pour évaluer le niveau d’alphabétisation et de compétence numérique de base. Plus d’information: https://www.acer.org/in. Consulté le 14/02/2020.

[4] Knowledge is power. The world’s first Development Impact Bond in education. UBS Optimus. 2018. Téléchargeable à partir du lien suivant: https://www.ubs.com/microsites/optimus-foundation/en/resources.html. Consulté le 14/02/2020.

[5] https://www.educategirls.ngo/dib.aspx Consulté le 14/02/2020.

[6] Op. cit.

[7] Independent Evaluation of the Development Impact Bonds (DIBs Pilot Programme), Inception Report

July 2018. Téléchargeable à partir du lien suivant:  http://iati.dfid.gov.uk/iati_documents/40244820.pdf. Consulté le 14/02/2020.

[8] https://qualityeducationindiadib.com/

[9] Source : UBS Optimus.

[10] https://qualityeducationindiadib.com/2019/08/12/year-1-results-announcement/. Consulté le 14/02/2020.

[11] Op cit.

[12]https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/535032/rr922-qualitative-evaluation-of-the-dwp-innovation-fund-final-report.pdf. Consulté le 14/11/2019.

[13] Ibid.