« La fonction publique s’engage » : vers un dialogue structurant entre fonction publique et économie sociale et solidaire

Lors de la troisème édition du Sommet de la mesure d’impact, tenue au Conseil économique, social et environnemental le 16 mai 2025, La France s’engage, l’IMPACT TANK et la Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE) ont annoncé la reconduction du programme «La fonction publique s’engage». Lancée en 2024, cette expérimentation amorce un tournant stratégique dans la relation entre deux acteurs majeurs de l’intérêt général : l’État et les forces vives de l’économie sociale et solidaire. Trois séquences de la journée ont permis d’en cerner les enjeux, les ambitions et la portée politique.

Innovation sociale : une portée politique à affirmer

Trop souvent cantonnée à des fonctions palliatives, l’innovation sociale demeure rarement envisagée dans sa capacité à reconfigurer les équilibres démocratiques, la légitimité des institutions et les modalités d’élaboration de l’intérêt général. La table ronde « Quel sens politique pour l’innovation sociale ? » a frontalement interrogé cette marginalisation, en posant la question de sa reconnaissance institutionnelle.

Agathe Cagé (Compass Label), Baptiste Pecriaux (Impact Campus), Thibaut de Saint Pol (Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative) et Damien Baldin (La France s’engage) ont formulé une analyse convergente : les initiatives sociales, loin de se limiter à la réponse à des besoins non couverts, traduisent des aspirations démocratiques profondes. Elles réinventent les manières de faire politique, en introduisant des logiques de participation, de co-construction et d’expérimentation dans l’espace public.

À ce titre, le programme « La fonction publique s’engage » a été cité comme une expérimentation emblématique de ces dynamiques de collaboration. Né d’un constat stratégique — l’urgence de décloisonner la haute administration et l’économie sociale et solidaire —, il institue un dialogue structuré entre hauts fonctionnaires et acteurs de l’ESS. Son objectif initial : créer des binômes de travail, véritables duos opérationnels, permettant aux premiers de se confronter à l’agilité du terrain, et aux seconds de mieux saisir les contraintes et leviers institutionnels. En articulant ces deux mondes, le programme a pour ambition d’offrir un cadre de coopération inédit entre des acteurs de l’intérêt général qui se côtoient peu.

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Pérennisation du programme « La fonction publique s’engage »

La séquence suivante a officialisé la reconduction de l’expérimentation, par la voix de Claire de Mazancourt (DIESE), Tony Bernard (Impact Tank) et Damien Baldin (La France s’engage). Au-delà de la poursuite, c’est un changement d’échelle qui a été annoncé : il ne s’agit plus seulement de provoquer des déclics individuels, mais de structurer une culture partagée de l’intérêt général, capable de transformer durablement les pratiques.

Cette ambition se matérialise par une évolution majeure : l’intégration de dirigeants de structures labellisées par La France s’engage et Impact Tank au Cycle des hautes études du service public (CHESP). Piloté par la DIESE avec l’appui de l’Institut national du service public (INSP), le CHESP s’adresse aux cadres les plus prometteurs de la haute fonction publique de l’État — futurs directeurs d’administration centrale, préfets ou ambassadeurs — ainsi qu’aux cadres hospitaliers et territoriaux, magistrats et enseignants-chercheurs.

L’arrivée d’entrepreneurs de l’ESS au sein de ce dispositif stratégique offre un double bénéfice. D’un côté, les hauts fonctionnaires accèdent à des perspectives nouvelles, nourries de réalités sociales et territoriales complexes. De l’autre, les dirigeants de l’ESS enrichissent leur compréhension des logiques étatiques, tout en développant leurs compétences managériales et leur réseau. Cette immersion croisée favorise une montée en puissance mutuelle, et jette les bases d’une collaboration renouvelée.

Les témoignages d’Hervé Léost (Inspection générale des affaires sociales) et de Nathalie Roudault (Nightline France, lauréat 2021 de La France s’engage), tous deux auditeurs de la promotion 2025 du CHESP, ont illustré la portée de cette démarche. Ils ont salué la rareté de ce type de dialogue, et rappelé qu’« il est encore exceptionnel, en France, que l’État reconnaisse la légitimité politique d’initiatives citoyennes à forte intensité sociale ». Cette reconnaissance structurelle traduit une volonté de transformation : la coopération entre ESS et État n’est plus une parenthèse expérimentale, mais une exigence stratégique.

Les perspectives de développement du programme évoquées lors de cette séquence confirment cette dynamique : sensibilisation accrue des élus, extension à la fonction publique territoriale — amorcée à Marseille — et dialogue ouvert avec les instances européennes.

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Redéfinir le lien entre État et citoyens

La clôture du Sommet, dans l’Hémicycle du CESE, a donné une portée politique supplémentaire au programme. Le débat, centré sur la question « Comment se reconnecter aux citoyens ? », a mis en lumière les fractures actuelles entre institutions et société : sentiment d’exclusion dans les territoires éloignés des centres de pouvoir, défiance à l’égard des services publics, inégalités face à la transition numérique.

Face à cette réalité, les intervenants — Laurent Marcangeli (ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, en vidéo), Xavier Piechaczyk (RTE), Isabelle Braun-Lemaire (DIESE) et Damien Baldin (La France s’engage) — ont esquissé des pistes pour refonder la relation entre citoyens et puissance publique.

Le ministre a notamment annoncé l’intégration du programme « La fonction publique s’engage » au catalogue de formation de l’INSP. Ce geste politique consacre une nouvelle norme : celle d’une familiarisation systématique des hauts fonctionnaires avec l’économie sociale et solidaire, non plus comme une ouverture marginale, mais comme un passage attendu. C’est un changement de prisme : reconnaître que les solutions sociales portées par la société civile ne sont pas seulement des compléments, mais des ressources précieuses pour penser et accompagner la transformation de l’action publique. Une coopération féconde entre institutions et initiatives citoyennes prend forme.

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Crédit photos : Sommet de la Mesure d’Impact